• Questions de synthèse sur le film Jour de fête de Jacques Tati (version couleur de 1995).


     QUESTIONS DE SYNTHESE SUR LE FILM JOUR DE FETE DE JACQUES TATI.
     Cours de BTS dans le cadre de l'étude du thème "la fête"
     (Travail mené dans deux classes de BTS 2e année - octobre 2006)
     
     

    I. Jour de fête : un témoignage sociologique ?
    1) La construction :
    Il n'y a pas à proprement parler, d'histoire dans le film, mais une série de trouvailles d'observation ou de fantaisie à partir et à propos d'un sujet très général : un village en liesse.
    Il y a une rupture très nette entre les deux premières parties et la troisième, beaucoup plus longue et dont seul le facteur est le héros. Dans les deux premières parties, l'attention se porte sur plusieurs centres d'intérêt : les forains, le coiffeur, le cafetier, Jeannette et, en général, la population du village. Pour parvenir à une exposition intelligible, un personnage récitant (la vieille commère) a été introduit.
    Le film passe d'un pointillisme descriptif (séquences courtes, nombreux personnages) à un récit suivi (séquences longues et bien articulées dans lesquelles évolue un seul héros).
    Le film nous fait goûter l'essence du village français jusqu'au début des années 1950 : comparer Folainville avec un village actuel pour faire le bilan des changements entre hier et aujourd'hui.

    2) La vie quotidienne
    -
    faire situer 1947 (lendemain de guerre)
    - activités, véhicules, travaux, cafés, fermes...
    - aspects comiques ici aussi. Quel regard porte Tati sur ce monde ?
    - ressemblances/différences avec aujourd'hui.

    3) Les objets
    -
    faire la liste des objets.
    - montrer leur importance dans le burlesque (ballon qui éclate, ou qu'on suit, chevaux de bois, bicyclette,
    mât, chaussure...)
    - l'objet et l'humain. L'objet et les animaux. Ainsi un comique basé sur les sons, les gestes (Tati, mime +
    héritage du muet), l'observation.
    - jeu avec les objets (cirque, mime)



    II. L'importance du son.
    Repérer quelques motifs géométriques récurrents : les formes rondes (ballons, roues, loteries, manège) et les lignes droites, notamment parallèles (échelles, barrières, brancards).
    Relier les formes rondes au principe de construction du film, qui s'ouvre et s'achève sur le déplacement des forains (chercher l'étymologie du mot).
    Montrer que le mât érigé sur la place sert d'axe autour duquel tout s'organise : le temps de la fête, il remplace le clocher comme point de repère de la vie sociale.
    Rendre sensible le travail sonore du film
    Distinguer les trois strates possibles de sons : voix, bruits, musique, en différenciant sons off (source hors-champ) et in.
    Prendre quelques exemples de variations dans le film sur ces distinctions : la guêpe (son in, mais source invisible), le mât (son in, mais source cachée par le décor), la bande-son du film américain (son off, alors
    que, dans le cadre, le forain et la villageoise sont muets). Et souligner que, traitées parfois comme de simples bruits, les paroles perdent ici leur fonction sociale de communication.


    1) Le son chez Tati :
    Le traitement du son, personnage à part entière est très particulier chez Tati. La parole n'a pas
    d'importance (à peine audible, voire inaudible ou absente chez Monsieur Hulot), contrairement aux
    bruits amplifiés, mis en valeur, détournés, transformés au détriment des bruits d'ambiance naturels:
    les exemples fourmillent dans le film (clochette de François, l'insecte intempestif, la voix off de la
    déclaration d'amour américaine, les sons mystérieux du vestiaire du bureau de Poste).

    - faire émerger son importance.
    - sonnette de vélo, mât qui craque, cris des animaux, dialogues audibles et inaudibles, répétitions de mots
    (rapidité...rapidité...), onomatopées.
    - insister sur sa dimension comique.
    - la musique. Faire émerger les thèmes musicaux (générique/forains/facteur/jazz, symbole de l'Amérique).

    Pistes de réflexion sur le traitement du son
    Son entièrement post-synchronisé.
    Chez Tati, les bruits ont la parole, la voix est un bruit. Tati n'a pas pris au mot l'invention du
    cinéma parlant. Jour de fête est traité comme un film muet.
    Voir :
    - les sons décalés
    - les voix inapropriées
    - les paroles inaudibles
    - la gestuelle, par laquelle tout se dit
    - les commentaires de la vieille femme, narratrice omnisciente, qui surviennent comme les cartons
    des films muets.
    - le comique burlesque à la Chaplin, clin d'oeil de « L'Arroseur arrosé »
    - l'importance d'un personnage central.
    Tati ne traite pas les dialogues au premier plan, ils sont le plus souvent entourés, parasités,
    recouverts par d'autres sons.
    Les personnages sont bavards en « gestes ».
    Les conversations se perdent dans les bruits du monde, technique du « fading » réalisée au mixage,
    qui consiste à faire apparaître et disparaître les voix. Restent des bouts de phrases, des mots isolés
    qui signalent un personnage.
    Pour Tati, la parole n'est pas incompréhensible, elle est terriblement insignifiante, surtout dans ses
    autres films. Dans Jour de fête, la parole n'est pas essentielle, seules les habitudes de vie au
    quotidien donnent du sens et ce jour de fête crée la communauté. Mais, tout fait du bruit.
    Chaque son est bien détaché, stylisé jusqu'à l'abstraction, les cris d'animaux récurrents. L'exemple
    suprême est le vol de la guêpe et le grelot du vélo de François ; c'est lui qui donne le ton, tantôt
    « bavard, tremblotant, instable, agité et fixe » selon Michel Chion.

    - Le son
    L'univers sonore a une importance capitale, de la sonnette du vélo de François au craquement du mât, en passant par les “ cris ” des animaux (poules, coqs, chiens, vaches...). Le dialogue est également traité de façon très originale et variée : commentaires de la commère, dialogue classique des forains, phrases brèves des habitants, mots répétés (“rapidité, rapidité... ”, “ Roger... ”, “ Roger ! ”) et onomatopées de François... Tout aussi importantes sont les scènes où le dialogue est remplacé par des bruits ou des gestes : bande son de western lorsque Roger fait le joli coeur en roulant des mécaniques, François racontant par gestes, de loin, son exploit avec le mât.

    Dans les plans larges, exemple de François et la guêpe (voir d'autres cas dans le film), le son fait
    effet d'un zoom discret sur un détail.
    On peut dire que Tati est l'un des cinéastes les plus sonores en travaillant comme au temps du muet.


    2) ANALYSE CINÉMATOGRAPHIQUE (synthèse)
    L'utilisation systématique de la profondeur de champ dans laquelle les arrières plans sont aussi nets que le premier plan et la clarté extrême des images visent à ne jamais isoler le personnage du cadre et de la foule qui l'entourent.

    Il n'est pas donné à tout le monde de faire naître la poésie de la netteté des images et non du flou, c'est le cas dans Jour de Fête. L'impression qui domine est la légèreté de touche avec laquelle Tati expose son propos.

    Le montage nous montre un découpage assez lent contrairement à l'habitude dans les films comiques. Les mouvements de caméra sont peu nombreux, les effets faciles sont inexistants. C'est la simplicité qui domine.

    Les dialogues et la parole sont volontairement inaudibles (chez le facteur) ou sans intérêt lorsqu'on les comprend (chez les personnages secondaires). Tati, comme Chaplin est un mime, il accorde plus d'importance au geste, à la silhouette. De plus son personnage de facteur est un individu dont la présence sociale est nulle et dont les propos sont sans valeur.

    Par contre, les effets sonores sont importants (on le retrouvera dans tous les films de Tati). L'évocation sonore de certains gags (frelon, mât...) produit un effet plus direct sur le spectateur qu'une évocation visuelle.

    La cohérence de l'attitude des divers personnages et de leurs actions vient du fait que l'on est dans un instant temporel précédant la fête du village, donc précédant un événement exceptionnel de la
    vie du village. Chaque personnage exécute des gestes extra-ordinaires (au sens où ils sortent de
    l'ordinaire) : l'essayage d'une nouvelle robe à la mode parisienne, le cafetier repeint ses chaises, le
    coiffeur est débordé...
    L'arrivée de François (au bout de dix minutes de film) entraîne rythme et vitesse. Mais ce rythme et
    cette vitesse sont remis en cause par le propre rythme et la propre vitesse de la vie du village. La
    commère souligne en fin de film que même les Américains, avec leur vitesse, ne feront pas pousser
    la moisson plus vite.



    III. Le registre comique dans Jour de fête.

    Comparer le gag classique, à partir d'un extrait de Chaplin (Le Kid par exemple), et un gag de Tati : dans le premier cas, il y a construction (mise en place, progression, chute), condensation de l'événement, exagération et invraisemblance ; dans le second, seulement l'observation d'un instant, comme pour nous apprendre à être attentifs à la dimension humoristique de la réalité.
    Apprécier différents types de rires : rire de supériorité face à des maladresses et des dégradations dont le spectateur se pense préservé (exemple : les chutes de corps ou d'objets) ; rire de surprise face à l'inattendu, à des inventions originales (exemple : la plate-forme d'un camion devenu bureau de poste) ; rire de transgression, par plaisir de revanche sur les interdits (exemple : le pantalon du paysan gonflé par la soufflerie de la moissonneuse) ; rire de contraste naissant du « mécanique plaqué sur du vivant » (Bergson), quand la réalité fait obstacle à la vitesse et aux automatismes, exigeant une adaptation constante (exemple : la tournée à l'américaine du facteur).

    1) Le Burlesque :
    Sa référence à l'univers du cinéma burlesque américain, genre cinématographique de la période du
    muet dont Buster Keaton et Charlie Chaplin étaient les représentants les plus connus. Ce genre se
    caractérise notamment par un humour dont le ressort principal est la motricité même des acteurs.
    C'est un cinéma du mouvement corporel par excellence. Les héros ont un visage - masque impassible
    qui contraste avec une mobilité et une élasticité hallucinantes des corps (qui s'explique par les
    origines de Chaplin, artiste de cirque et que l'on retrouve chez Tati, ancien artiste de cirque et mime).
    Les gags résultent de chutes, sauts, déplacements, contraintes et décontraintes invraisemblables des
    corps. D'où vient que l'on rit beaucoup en voyant le film ?
    - Faire cerner la mécanique du GAG
    - le gag, jouant sur la répétition, tout au long du film.
    - le gag, jouant sur le décalage entre notre regard et celui du personnage, rendant ainsi le spectateur complice
    et actif.
    - le gag effleuré (qui s'arrête en chemin), non appuyé.
    - en relation avec le cadre (large, démocratique, 40mn, centres d'intérêt multiples, jouer sur la participation
    du spectateur, cf. aussi la profondeur de champ, gag à l'arrière plan. Précision, rigueur du comique).
    - l'importance du hors champ visuel ou sonore dans la construction du gag ( à l'église/ l'abeille/etc.)
    - le gag sonore, bien sûr.
    - Le tout-premier gag de l'histoire du cinéma : l'Arroseur arrosé (1896).



    2) Le comique :
    Jour de Fête opère une rupture avec une longue tradition comique de vaudeville et de comédie filmée. Tati a confessé son goût très vif pour Chaplin ou W.C. Fields.

    -Comique d'observation :
    Toute la description du village fourmille de traits d'observation et de notations très fines. Ces trouvailles sont utilisées dans un sens poétique très prononcé, grâce à la légèreté de touche et à l'habileté de la réalisation. Ce type de comique apparaît dans la description du village et des personnages qui y évoluent.

    -Comique burlesque :
    Contrairement au comique d'observation, principalement présent dans la troisième partie, le burlesque est plus ressentit dans la troisième partie. Ce type de comique est réservé au personnage principal : la facteur.


    Un comique quotidien et original
    - Le personnage
    On peut cerner les principaux traits de François, au physique comme au moral. Sa silhouette, son habillement, ses moustaches, sa démarche, la façon dont il demeura attaché physiquement à son vélo, sa façon de monter en relevant à chaque fois la pédale, de rouler le buste droit (sauf dans la séquence de la tournée américaine). Son attitude à l'égard des autres : il est toujours prêt à rendre service, planter un mât, tenir la lance d'arrosage pendant que le paysan va lire son courrier, réparer le piano mécanique... Dans le même temps, il ne voit pratiquement jamais les catastrophes qu'il produit ou, s'il les voit, n'en comprend pas l'origine, seulement préoccupé de ses propres problèmes.
    - Le comique
    Il faut tenter de montrer les principales différences avec le comique classique du cinéma français, non seulement verbal, mais n'hésitant pas à étirer un gag, à le répéter, à le souligner (il serait utile de puiser aux sources contemporaines, du type Les Visiteurs ou des “ classiques ” comme Le Corniaud ou La Grande Vadrouille). On peut montrer comment certains gags qui pourraient donner lieu à une exploitation évidente ne sont pas poursuivis : François pourrait ainsi être poursuivi après avoir confondu la vitrine du boucher et le stand de jeu de massacre. On peut faire percevoir des gags qui se passent en arrière-plan et ne sont pas immédiatement perçus comme tels, parce que non soulignés : le cafetier tombant lorsqu'il accroche ses guirlandes. Il est important de montrer comment Tati fait travailler le cerveau du spectateur qui reconstitue le cheminement mental des personnages : le vieil homme tentant de monter sur sa charrette sans salir le corsage de sa petite-fille... Une comparaison s'impose entre ces gags et ceux, plus classiques, plus proches du burlesque traditionnel, de la tournée à l'américaine.
    - Mélange de comédie et de vie quotidienne
    On peut répertorier tout ce qui, intégré au comique ou non, relève de la description de la vie quotidienne d'un village dans les années 40, les activités de chaque habitant, les véhicules, les instruments, les travaux des champs, les habitations, bistrots, halle aux grains, fermes... - Le rythme est un élément important du film. Il peut, surtout au début, dérouter par une certaine lenteur. Il est nécessaire de lier cette lenteur avec la vie paysanne ancienne, de montrer l'accélération progressive du film (à partir de la séquence du frelon), due à la perturbation de la fête, qui culmine avec la tournée à l'américaine.
    - Les objets
    Comme dans le burlesque en général, les objets jouent un grand rôle : bicyclette du facteur, chevaux de bois, téléphone à réparer, ballons, mât, chaussures... La relation entre objet et humain est importante (mécanisation de François par sa bicyclette, jusque sur le manège), mais aussi avec les animaux, chèvre, poules, chiens, chevaux (opposés aux chevaux de bois)...



    IV. Le personnage de François.

    1) François, personnage principal.
    Il n'y a qu'un personnage très défini dans Jour de Fête, c'est celui du facteur. Tous les autres ne sont qu'esquissés. Le facteur, François, ne présente que quelques traits simples : naïveté, conscience professionnelle, enthousiasme, maladresse. Ce personnage typé a parfois été mis en parallèle avec Charlot (silhouette et démarche très marquées), mais caractériellement, ils sont très différents. Charlot est faible, même si parfois un esprit de révolte l'anime, il a un sentiment de persécution et vit la peur au ventre / François (plus tard Hulot) est un gaillard joyeux, simple, peu susceptible, aimant trinquer : c'est un personnage moins intellectualisé.

    Le savoir du personnage : il est inférieur à celui du spectateur, ce qui donne à ce dernier une avance, instaure une distance entre eux (exemple : le vélo soulevé par la barrière).
    Les valeurs du personnage : le dévouement, la sociabilité, la tension entre l'effort pour rester soi-même et la nécessité de la norme sociale sont, eux, partagés par le spectateur, d'où une proximité, une identification possibles.
    Copie d'une réalité ou figure stylisée ? Peu de psychologie chez Tati : nous n'avons pas accès à l'intériorité de François, qui n'a pas de voix off, ne manifeste guère d'émotions, est peu individualisé (son prénom en fait le Français type). Cette extériorité lui permet d'accéder au mythe (Hermès, le messager qui relie les hommes) et de figurer l'inadaptation à un monde absurde.


    2) La panoplie du facteur à l'américaine :

    François le facteur
    Il existe d'abord par sa silhouette dégingandée, aux jambes et bras immenses. La position verticale, en particulier à bicyclette, n'est que transitoire, menacée, instable. Sa psychologie se déduit de ce physique, qui l'élève hors du commun mais en fait la cible des plaisanteries des enfants comme des adultes et crée chez lui un besoin incessant de reconnaissance sociale. Seul, avec les forains, à ne pas être paysan, il occupe un poste à responsabilité, mais il est sans racines et sans habitation autre que provisoire (comme le wagon de marchandises où il passe une nuit). Il surgit de nulle part (une route de campagne) pour se fondre parmi les moissonneurs.
    Est-ce son métier qui lui donne de l'importance ou lui-même qui se l'attribue en prétextant sa mission administrative ? Une annonce de décès peut bien attendre ou une chèvre dévorer une lettre sans que le village en soit perturbé. La faiblesse de François, n'est pas de vouloir “ bien faire ” – le veut-il vraiment ? –, mais faire de façon à être considéré, se croire indispensable. La pose d'un mât sur la place du village ne réussit que par une série d'essais et d'erreurs mais l'exploit sera revendiqué par François avec force gestes. Le bistrot lui permet moins de s'intégrer à la vie des paysans que de manifester sa vanité un peu ridicule. La tournée “ à l'américaine ” les laisse indifférents ou tourne à la catastrophe. François n'est pas un personnage “ achevé ”, en aucun cas un type à la façon de Charlot. Il n'existe que dans sa relation aux autres, au décor, aux objets.

    A partir du Catalogue d'objets introuvables, imaginer la panoplie du facteur à l'américaine, soit dans
    une vision moderne des objets (avec des collages d'après des catalogues et des revues, retouchés
    par le dessin et la peinture), soit dans une vision rétro, poétique, tatiesque (d'après des revues
    anciennes, des gravures de Gustave Doré, de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert...).

    Faire émerger les principaux traits du personnage. Silhouette, démarche, casquette, pantalon, moustache,
    indissociable de son vélo, manies, gestes récurrents, buste droit, voix, paroles (« ah ben ça c'est quelque
    chose ! »), personnage serviable, mais décalé, innocent, ne comprenant pas les situations qu'il provoque.


    3) Les autres personnages
    -
    les enfants : ceux de la scène de la boîte aux lettres, ceux de la fête, l'enfant- facteur de la scène finale.
    - la commère (joué par un homme ! Seul acteur professionnel du film, à part Tati bien sûr). Faire cerner son
    rôle. Définir sa silhouette. Toujours accompagnée de sa chèvre.
    - et les autres personnages marquants....
    Les forains
    Le plus important est Roger, celui qui tient la loterie. Peu intéressé par son travail, il s'accroche à tout ce qui pourrait le distraire, une jolie fille, un facteur naïf et hâbleur à rouler... Les constants rappels à l'ordre de sa femme décrivent en quelques traits une vie déchirée entre le devoir et une rêverie qui l'apparente à François. Pour Marcel, l'homme du manège, plus question de rêver d'amourette de passage, un regard plus ironique sur le village et une attitude plus cynique à l'égard de François. Ce que sera sans doute Roger dans quelques années.

    La commère
    Parmi les villageois, la commère (inspirée d'un personnage réel d'un hameau proche) est l'un des rares personnages à être interprété par un comédien professionnel (Delcassan), qui de plus est un homme. Son statut est à part. Elle observe le village en retrait, ne participant pas à la fête et se levant avant tout le monde le lendemain... Le personnage est également en retrait du film : on la voit fréquemment en premier plan, jugeant et commentant les événements. C'est elle qui ramène le héros parmi les moissonneurs lorsque son comportement l'a sorti du parcours quotidien.

    Les autres
    Si les acteurs amateurs et les habitants de Sainte-Sévère interprètent à la perfection les villageois, c'est qu'ils relèvent moins de l'observation que de l'imagination du spectateur qui reconstitue dans sa tête le cheminement mental de chacun : l'épicière qui vide ses eaux sales après un regard furtif à droite et à gauche, le vieux paysan tentant de monter dans sa carriole en tenant avec soin la robe immaculée de sa petite-fille, les chaussures neuves des jeunes filles après le bal...


    V. La fête foraine.
    1) Le burlesque : carnaval tous les jours.
    Le film est le jeu de ces éléments : les campagnards de l'Indre à la veille de la plus grande révolution qu'ils allaient vivre (la fin de la France, de l'Indre, de Sainte-Sévère comme principalement agricoles, la fin des campagnards, devenus un-demi siècle plus tard des espèces d'Indiens, certes copieusement assistés) ; l'énergie animale et enfantine, potentiellement inépuisable, dans sa spontanéité, son absence de calcul ; enfin la stricte attribution de puissance scopique, et la circulation savamment gérée de cette puissance.
    C'est évident ce dernier aspect, la " gestion " des événements cinématographiques, qui est premier dans notre perception de spectateur (le cinéma comique est obligé d'être efficace : il n'y a plus de film s'il ne provoque pas mon rire, ou au moins une adhésion tendue). Tout l'art de Tati est là : faire proliférer les gags — y compris à l'état naissant, juste indiqué, parfois comme effleuré ou à peine suggéré — mais en même temps avoir imaginé des principes qui permettent de gérer cette prolifération, sans aller jusqu'à maîtriser le comportement du moindre figurant : Tati n'est pas De Mille, il ne se prend par pour Dieu (sa conduite des affaires du monde ressemble plutôt, à tout prendre , à celle de la nature).


    2) La dimension collective de la fête populaire est très importante chez Tati, elle est facteur de lien social
    (et s'oppose au monde moderne urbain).Elle s'incarne dans une forme géométrique qui traverse tout
    le film et qui sera une piste de travail : le mouvement circulaire, le cercle, la roue (chapiteau, manège,
    roues de bicyclettes, de charrettes, roue de la loterie, cocardes tricolores du plan d'ouverture du film,
    cercle noir autour de l'oeil de François...). Le cercle et le mouvement circulaire sillonnent tout le film.
    Cette thématique est à mettre en relation avec la peinture de Sonia et Robert Delaunay (nés en 1885)
    fascinés par la figure du cercle, expression du dynamisme et du monde moderne (le soleil, le cirque,
    la grande roue des fêtes foraines, le manège, les hélices d'avion, la bobine de cinéma que l'on
    retrouve dans Hommage à Blériot, dans Manège de cochons et les Prismes électriques). Robert et
    Sonia pratiquèrent une peinture tendant vers l'abstraction faite à partir de décompositions de plans de
    couleurs pures juxtaposées en cercles concentriques et rythmiques. Robert parla de sa pratique en
    termes de contrastes simultanés. Les contrastes de couleurs rythment et structurent le tableau en
    énergie pure. Apollinaire qualifia leur peinture d'Orphisme. On trouvera également le terme de
    Rayonnisme.





    VI. INTERPRETATIONS.

    1) Illustration naïve des rêves de familles pétainistes
    .
    voir aussi la resemblance du facteur avec le général De Gaulle : hymne à la victoire, à la
    France enfin debout : voir le poteau au milieu de la place.
    La référence à l'homme de pouvoir indispensable pour redresser la situation (scène entre les
    deux hommes du village et François afin de la désigner pour dresser le poteau et porte-drapeau
    au milieu de la place : François est un personnage avide de reconnaissance).
    Voir l'ombre de De Gaulle, de dos, à la fenêtre ; et la dernière image du film.

    Une métaphore de la Libération
    On comprend mieux maintenant que le film a un contenu métaphorique qu'on ne saurait ignorer. Le titre lui-même est en soi une métaphore de la Libération – n'oublions pas que le film fut tourné trois ans après –, de l'euphorie et des célébrations qu'elle génère dans toute la France. La longue scène de l'érection d'un mât supportant le drapeau tricolore a une valeur symbolique indéniable. Il est à cet égard symptomatique que lorsque Tati colorie le film au pochoir en 1961, les couleurs dominantes ajoutées au noir et blanc sont justement le bleu et le rouge. Dans le même ordre d'idée, on pourrait assimiler les prouesses physiques du facteur qui cherche à rivaliser avec la poste américaine, aux efforts de de Gaulle pour préserver l'identité, la grandeur de la France face à l'hégémonie américaine de l'après-guerre en Europe. Mais cette comparaison n'explique certes pas tout le film.

    2) une critique de l'Amérique : satire de la poste américaine.
    Une satire du modernisme : « Plus il y a de progrès, plus il y a de misère » » dans Jeannou, de
    Léon Poirier (1942). Une interrogation sur le modernisme, ici, en témoignant d'un monde en
    voie de disparition.

    La conclusion se fait par la bouche de la narratrice, qui fait partie de l'action à la fin du film, elle est
    sur sa carriole, et non en dehors comme dans le déroulement du récit.
    Elle s'adresse à François, elle prononce la morale de l'histoire après ce jour de fête qui a été un jour
    mémorable pour François et pour tous les villageois : « Les Américains, mon gars, font ben ce qu'ils
    veulent ; c'est pas eux qui font pousser tout ça plus vite (ici, retour à la nature, la vraie vie). Pour ce
    qu'elles sont bonnes, les nouvelles, on a ben l'temps d'les r'c'voir ».
    Retour aux images de début du film.
    C'est une boucle, un retour à l'innocence, au naturel, à la joie de vivre près du quotidien.
    Dernier plan du film : symbolique de la France, du général De Gaulle dans un geste péremptoire, le
    drapeau français en contre-plongée glorifiante.
    Jour de fête est un témoignage historique et sociologique ayant une vraie valeur documentaire, une
    chronique villageoise avec les détails et les observations de la vie quotidienne.








    EN GUISE DE CONCLUSION


    La force, la puissance et l'originalité du cinéma de Jacques Tati, dont Jour de fête pose les premières bases, tient non seulement au renouvellement du burlesque et du gag en particulier, ou à l'invention d'un personnage, mais à la constitution d'un univers personnel, spécifiquement cinématographique, et qui ne cesse pourtant de renvoyer à la plus contemporaine des réalités.
    Rétrospectivement, Jour de fête apparaît à la majorité des commentateurs comme un premier pas encore hésitant vers l'univers de Hulot. Le film n'est pourtant pas un brouillon mais repose sur des éléments qui lui sont propres. Tati n'a pas abandonné François parce qu'imparfait, mais parce que ce personnage et son univers rural se trouvaient épuisés par ce seul film. En 1947 (début du tournage), le monde rural français est encore important. Le facteur et le village ont encore toute leur signification.
    Jour de fête est donc incontestablement marqué par son époque et s'appuie sur l'observation minutieuse de la vie quotidienne d'un petit village de l'Indre en 1947, des travaux des champs au comportement des commerçants (cafetier, boucher, couturière...), en passant par la vie animale et l'atmosphère visuelle et sonore en général. Mais cette succession de scènes brèves et parfois anodines en apparence ouvre en fait une brèche dans ce quotidien. L'arrivée des forains brise la succession monotone des jours de labeur, au point de faire rentrer les volailles. Dans cette interruption de ses activités ordinaires, chacun révèle son désir de changer d'occupation, d'échapper à sa condition, sociale ou simplement familiale. L'épouse du cafetier Bondu se fait faire une robe selon une gravure de mode parisienne. Son mari a embelli la terrasse en repeignant les chaises. Jeanette rêve sans doute à des aventures et à des amours “ exotiques ” que lui suggère Roger, le forain, sur fond de bande sonore de western. Avec leurs toilettes et leurs chaussures neuves, les jeunes filles ne veulent plus avoir l'air de paysannes. Dans cette fête se cristallisent les espoirs de la Libération, comme le suggère le long plan de François, saluant de dos le drapeau au son de la Marseillaise, dont la silhouette évoque de Gaulle, comme la stupéfaction des deux soldats américains devant la haute technicité française lorsque François téléphone tout en pédalant. Mais François tombera dans la rivière, les chaises ne sèchent pas, Mme Bondu n'a pas la silhouette élancée du mannequin, les chaussures neuves font mal après le bal, et la moisson reprend son cours. Comme le dit la commère :
    “ C'est pas les Américains qui feront pousser le blé plus vite ! ”

    Le village de Sainte-Sévère avait particulièrement séduit Tati parce qu'il semblait vivre aussi bien à l'écart de la guerre que de toute forme d'évolution technique, moins figé dans le passé que situé hors du temps. Le gag célèbre de la bicyclette poursuivant seule sa trajectoire une fois lancée par le mouvement de la camionnette contre laquelle elle avait été posée illustre, dans une forme de raisonnement par l'absurde, la démarche du cinéaste.

    Le monde tatiesque semble réglé selon un mouvement autonome dont la logique interne fait ressortir les bizarreries du monde dit réel. Lorsque le vélo s'arrête tout naturellement, en fin de course, le long de la façade d'un bistrot, le spectateur, se souvenant de la récente cuite de François, attribue à l'engin sinon une âme, du moins une mémoire, animale. Filmé sans trucage décelable, ce gag ne fait que mieux ressortir le décalage entre l'irréalité de la tournée à l'américaine et la vie du village, le rythme moderne et le rythme ancestral. Le film est à l'image du tout premier gag. La vision des têtes des chevaux de bois du manège à l'arrière du camion fait s'enfuir en hennissant les vrais chevaux.

    La célèbre métaphore stendhalienne d'un miroir promené le long d'une route vient à l'esprit, mais seules importent à Tati les différences minimes entre la réalité et l'image virtuelle du miroir, tellement plus nette et plus précise.
    Avec Jour de fête commence une véritable pédagogie du regard. L'hyperréalisme du son comme de
    l'image (qui culminera avec Playtime) mène à interroger la réalité dans ses fondements mêmes.
    Les dialogues ne sont point incompréhensibles mais insignifiants et leur insignifiance est révélée par leur précision même. Le plan large auquel recourt Tati n'est jamais confus. Tout y est net, précis, tout y a sa place. Et pourtant le spectateur n'y voit pas tout, ou plutôt n'y voit pas immédiatement (surtout à première vision) ce qu'il faudrait voir, ce qui se met en place en vue du gag, qui éclatera parfois quelques minutes plus tard (comme ce téléphone que Bondu remet à François pour faire gag, deux séquences après. C'est parfois le rire des autres qui signale à retardement ce qu'il fallait voir (d'où le choix du genre comique, le plus approprié à ce type de démarche). Le spectateur doit adapter sa vision, plus exactement passer par la vision des autres pour comprendre la nature réelle des choses. François doit comprendre pourquoi l'homme qui louche frappe régulièrement à côté du piquet et en tenir compte, décaler la cible. C'est en nous faisant saisir les décalages entre le réel et sa représentation que Tati nous apprend à regarder.


    Si Jour de fête reste aujourd'hui encore le film le plus populaire de Tati, c'est que l'univers qu'il met en scène et le comique qui s'y joue nous rapprochent sans doute plus que tout autre, d'un " paradis perdu ", d'un " monde de l'enfance ", chers à nos coeurs nostalgiques. Il offre le tableau presque " édénique " d'une époque heureuse parce que baignée d'innocence primordiale : la bonhomie villageoise, la fraîcheur campagnarde, les animaux familiers et les ribambelles d'enfants qui galopent librement. Et puis ce " benêt " de facteur dont l'héroïque candeur transforme les mauvaises farces qu'on lui joue en exploits épiques dignes des plus grands comiques. Tati renoue ici avec le burlesque des " premiers temps " du cinéma. Celui aussi des " premiers temps " tout court, où l'homme animé d'un invincible esprit d'enfance, recréé le monde à l'image de ses désirs. Ceux d'une éternelle, immédiate et libre joie de vivre. Mais au delà des ces qualités " transhistoriques ", il y a dans Jour de fête une ironie, d'ailleurs plus malicieuse que méchante, à l'égard des modèles américains, dont la saveur critique peut-être encore plus sensible aujourd'hui qu'hier où ils faisaient à la fois figure de libérateurs et de messagers d'un " progrès " quelque peu démonétisé depuis...



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